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Portrait 19 octobre 2018, 07:01

Mustapha Zitouni, sacrifice et indépendance

Mustapha Zitouni, sacrifice et indépendance
Il y a 90 ans, le 19 octobre 1928, naissait Mustapha Zitouni. Il y a 60 ans naissait sa légende, au cours d'une année 1958 tourmentée. Récit de la vie extraordinaire d'un homme qui porta le maillot de l’AS Monaco durant quatre ans, avant de devenir l’un des héros de l’indépendance algérienne.

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Monaco en ce temps-là découvrait l’élite du football français, juste sous les fenêtres du Palais. Situé au pied du Rocher, l’ancien Stade Louis-II vibrait alors pour une équipe vêtue d’un maillot rayé de rouge et de blanc. La fameuse diagonale n’avait pas encore germé dans l’esprit créatif de la Princesse Grace, l’AS Monaco n’avait encore rien gagné de majeur sur la scène française.

Dans l’histoire du derby

AS Monaco 1954/1955 : Zitouni (en haut, 2e à droite) découvre l’AS Monaco et la D1 avec son, compatriote gardien de but, Abderrahmane Boubekeur.

Après une première saison en Division 1 achevée à une honorable 10e place (1953/54), l’équipe entame l’exercice suivant avec deux jeunes joueurs algériens dans ses rangs : le gardien de but Abderrahmane Boubekeur (22 ans), un véritable colosse, et le défenseur, Mustapha Zitouni (24 ans), une main de velours dans un gant de fer. Tous deux sont issus du même club algérois : l’OM Saint-Eugène, mais Zitouni affiche déjà une saison de D2 avec les « voisins » de l’AS Cannes.

Venus trouver en Métropole un championnat à la hauteur de leur talent, les deux hommes connaissent des débuts très compliqués. Il faut en effet attendre la 7e journée pour voir l’AS Monaco empocher sa première victoire contre Saint-Etienne. Lors du match suivant, Mustapha Zitouni marque l’un de ses deux seuls buts en 136 apparitions sous le maillot monégasque. Une égalisation à la 90e minute dans le derby azuréen contre l’OGC Nice, assez pour entrer dans le coeur des supporters !

Des Bleus au FLN…

AS Monaco 1955/1956 : pour la toute première fois les Rouge et Blanc terminent sur le podium de D1. Zitouni (en haut, 1er à gauche) se révèle comme l’un des meilleurs défenseurs du championnat.

Au fil des matchs, son talent éclate au grand jour. Certes l’AS Monaco achève la saison 1954/55 à la 14e place, mais l’équipe monte en puissance. À l’entame de la suivante, un troisième joueur algérien intègre l’effectif. Il s’agit de l’expérimenté Aziz Ben Tifour, 28 ans et déjà champion de France à deux reprises avec le voisin niçois (1951 et 1952). Forte de cette recrue offensive, l’équipe accroche son premier podium de Division 1 au terme de la saison 1955/56, et enchaîne avec une belle cinquième place en 1956/57.

Devenu le patron de la défense monégasque, Mustapha Zitouni s’ouvre les portes de l’Équipe de France, tandis que se profile la Coupe du Monde 1958 en Suède. Le meilleur semble à venir, il ne fait alors aucun doute qu’il parviendra bientôt à lever un trophée avec une formation monégasque de plus en plus ambitieuse. Et pourtant, la belle histoire va s’achever aussi soudainement que brutalement en avril 1958. Alors que depuis quatre ans le conflit franco-algérien s’enlise, la politique va décider du destin de la « colonie » algérienne de l’AS Monaco.

Au nom de l’indépendance

AS Monaco 1956/1957 – Zitouni (en haut, 2e à droite) forme une défense de fer avec Kaelbel (en haut, 1er à gauche). L’AS Monaco termine en cinquième position.

Celle-ci s’est agrandie en 1956 avec l’arrivée de Kaddour Bekhloufi et l’équipe démarre la saison 1957/1958 avec une retentissante victoire contre le Stade de Reims (3-0), dans un Stade Louis-II plein comme un oeuf. Le 8 septembre 1957, 16 000 personnes assistent à cette rencontre victorieuse face à la plus grande équipe française du moment. La course au titre est lancée et l’AS Monaco tient toujours la dragée haute à l’ogre rémois quand arrive le printemps. Mais de l’autre côté de la Méditerranée, la création par le FLN (Front de Libération Nationale) d’un « Onze de l’Indépendance » va tout bouleverser.

Rattrapés par la politique, les quatre joueurs algériens de l’AS Monaco quittent brusquement le club, afin de rejoindre cette équipe chargée de porter la cause de l’indépendance algérienne sur le terrain du sport. Au total, plus de trente joueurs algériens des championnats de D1 et D2 effectuent la même démarche. Le sport français est sous le choc. S’accrochant au rêve de disputer la Coupe du Monde 1958 sous le maillot français, Mustapha Zitouni tente en vain de repousser la création de l’équipe afin d’honorer le rendez-vous suédois programmé deux mois plus tard. Pris dans le tourbillon, il dispute donc son dernier match sous le maillot monégasque à l’occasion d’une défaite 0-2 contre Angers le 13 avril 1958. Dans la foulée, il profite de la nuit sombre pour quitter le Rocher dans la clandestinité.

Hidalgo : « Une classe unique »

AS Monaco 1957/1958 – L’équipe est à la course pour le titre avec Reims, mais elle perd ses quatre joueurs algériens au printemps, avant d’échouer à la troisième place.

Amputée de quatre éléments de valeur, l’AS Monaco se classe finalement troisième, seulement distancé à la différence de buts par le deuxième, Nîmes, alors que Reims remporte le championnat avec sept points d’avance. De son côté, le « Onze de l’Indépendance » dispute et remporte son tout premier match le 9 mai 1958 contre le Maroc. Plusieurs dizaines d’autres suivront jusqu’à la déclaration d’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962 et la création d’une véritable équipe nationale. Mustapha Zitouni en fait partie comme douze autres héros du « Onze de l’Indépendance », à défaut de pouvoir reprendre le fil de sa carrière professionnelle.

Entre temps, l’AS Monaco a remporté sans lui sa première Coupe de France (1960), puis son premier championnat (1961). Parmi les acteurs de ces premiers titres, l’ancien capitaine monégasque et sélectionneur français, Michel Hidalgo, n’a jamais oublié Mustapha Zitouni : « C’était vraiment un très grand joueur. Il avait une classe d’arrière central unique avec une grande facilité dans le jeu, une superbe technique et surtout de grandes qualités humaines. C’était un homme respectable et très apprécié ». L’Histoire et la politique n’auront pas permis au football d’en profiter pleinement, sans pour autant que le souvenir du grand joueur qu’il fut ne s’estompe. Celui du héros national fut régulièrement souligné jusqu’à son décès le 5 janvier 2014 des suites d’une longue maladie. Mustapha Zitouni a laissé cette trace indélébile commune aux grands hommes.

Rise. Risk. Repeat.