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Interview 23 mars 2019, 09:00

Alfred Vitalis (2) : « Nous n’avions même pas de terrain d’entraînement »

Alfred Vitalis (2) : « Nous n’avions même pas de terrain d’entraînement »
Chaque mois le Grand Format vous propose de remonter le temps et d’entrer dans la riche histoire de l’AS Monaco via le regard et la mémoire de ses héros. Premier de cordée, Alfred Vitalis.

Défenseur de devoir, toujours prêt au combat, celui que l’on surnomme « Le Marquis » a passé dix saisons sous le maillot rouge et blanc, disputant 278 matchs et remportant 2 titres de champion (1978 et 1982), 1 cCoupe de France (1980) et 1 Coupe Gambardella (1972). Pour ASMonaco.com, il a accepté de revenir en longueur sur son expérience monégasque dans un entretien publié en trois épisodes. Deuxième partie.

 

Les champions de 1978 à l’occasion des quarante ans du troisième titre de l’AS Monaco.

Un promu dans l’élite qui devient champion, ce n’était arrivé qu’une seule fois auparavant, plus jamais depuis… Quels souvenirs avez-vous de cette fameuse saison 1977/1978 ?
D’abord j’ai dû gagner la confiance de M. Leduc. Durant la préparation, il m’a testé à gauche de la défense, je ne suis plus sorti de l’équipe. Une équipe exceptionnelle qui jouait à l’instinct, avec des automatismes extraordinaires. Le trio Dalger/Petit/Onnis jouait les yeux fermés ! Et puis nous avions beaucoup de caractères forts. Rien ne nous faisait peur. C’était une époque où l’on ne faisait pas d’accolades à l’adversaire avant d’entrer sur le terrain, même si on pouvait parfois s’apprécier. Nous ne l’avons compris qu’au fil de la saison, mais nous avions tout pour réussir en fait. Des joueurs de talents, un entraîneur qui était plus un guide, un père de famille, une ambiance formidable, la grinta…

Nous étions défenseurs avant tout, l’objectif principal était de protéger notre but et nous étions prêts à tous les sacrifices sur le terrain.

Quand avez-vous compris que vous alliez être champions ?
Nous ne l’avons été qu’au bout de la 38e journée, avec un tout petit point d’avance sur Nantes, mais nous le sentions depuis plusieurs semaines. Déjà, il y avait eu le rêve de Delio Onnis en début de saison. Avant la première journée il avait rêvé que nous allions gagner les cinq premiers matchs avant de perdre à domicile contre Marseille lors du sixième… C’est ce qui s’est produit ! Ce départ canon nous a donné beaucoup de confiance, mais pour moi le tournant de la saison a été notre victoire au Parc des Princes contre le PSG lors de la 36e journée.

Un match au cours duquel vous avez marqué l’un des deux seuls buts de votre carrière monégasque…
Dans ce match j’ai eu la joie de marquer le premier but et de donner le deuxième à Raoul Nogues. Nous n’avions pas le droit à l’erreur car au moindre faux pas Nantes nous passait devant. Ce match était celui de tous les dangers pour nous. Après l’avoir gagné, nous sentions que plus rien ne pourrait nous arriver. Je n’ai pas beaucoup marqué c’est vrai, mais l’avoir fait dans ce match à une grande signification pour moi.

Photo souvenir avant le coup d’envoi de PSG – AS Monaco, match décisif de la 36e journée de D1 1977-1978.

On peut préciser qu’à l’époque le latéral gauche avait beaucoup moins de prérogatives offensives…
Oui, nous étions défenseurs avant tout, l’objectif principal était de protéger notre but et nous étions prêts à tous les sacrifices sur le terrain. Avec Rolland Courbis, Bernard Gardon et Albert Vanucci nous étions sur la même longueur d’onde.

Vous étiez proches sur le terrain comme en dehors…
Oui, surtout avec Albert Vanucci et Rolland Courbis. Albert c’était un peu mon grand frère corse. J’avais 23/24 ans quand je suis revenu au club, lui approchait de la trentaine. Il me protégeait. Nous faisions chambre commune en déplacement, il était toujours attentif à ce que je ne manque de rien. Nous avons gardé une relation très forte. J’apprécie tout chez lui. Quant à Rolland, je l’ai rencontré quand j’avais douze ans à l’occasion d’une finale régionale du concours du jeune footballeur ! Et pourtant cela ne s’était pas bien passé entre nous au départ.

Rolland s’approche de moi et me dit : « Tu sais ici on est à Marseille. Donc ce n’est pas toi qui ira à Paris !  »

On sent qu’il y a une belle anecdote derrière cela…
Effectivement. Du Rolland tout craché ! C’était donc la finale régionale et celle-ci se déroulait à Marseille. Nous étions quatre candidats et seulement les trois premiers pouvaient se qualifier pour la finale nationale programmée à Paris. Parmi mes adversaires il y avait donc Rolland, mais aussi Albert Emon, que nous avons retrouvé par la suite à Monaco. Et alors que les épreuves allaient commencer Rolland s’approche de moi et me dit : « Tu sais ici on est à Marseille. Donc ce n’est pas toi qui ira à Paris ! ». J’ai fait mine de rien, j’ai fait mes exercices techniques, plutôt bien, tandis que Rolland ne mettait pas un pied devant l’autre. Au final j’ai fini quatrième derrière Rolland !

Ce n’était pas la meilleure des entrées en matière…
Oui mais je ne lui en ai pas tenu rigueur et on a eu bien des occasions d’en rire par la suite. Nous avons fait les 400 coups ensemble. Nous nous sommes retrouvés quelques temps après avec la sélection des cadets du Sud-Est, puis en équipe de France juniors, puis à l’AS Monaco… Avant ça il avait fait une saison en Grèce et il m’avait presque convaincu de l’y rejoindre. Il me disait « Vitalis ça fait grec, ça passera facile » ! Parce qu’à l’époque on ne pouvait pas aller jouer à l’étranger comme aujourd’hui… Rolland il peut me demander ce qu’il veut, je suis présent. Et je sais que c’est pareil pour lui.

Rolland Courbis en 1981.

On connaît le Courbis entraîneur, le Courbis consultant, toujours le verbe haut, mais pouvez-vous nous parler du Courbis joueur ?
Il avait déjà beaucoup de personnalité. Il n’était pas maladroit ballon au pied, il avait un excellent placement, un physique avantageux, mais c’était surtout un meneur d’hommes. Il était très respecté par ses coéquipiers comme par ses adversaires. Joueur il avait déjà la fibre de l’entraîneur qu’il est devenu par la suite. Je me répète, mais on a eu une grande chance de se retrouver à Monaco. Avec Albert Vanucci ou Heriberto Correa sur le côté droit, Courbis et Gardon dans l’axe et moi à gauche, on avait une sacré ligne défensive en 77/78 ! J’ai déjà évoqué le trio Dalger/Petit/Onnis, mais nous aussi nous jouions les yeux fermés. Et pas que sur le terrain d’ailleurs ! Avec Rolland on ne s’ennuie jamais. Un jour, juste après le titre de 1982, Téléfoot fait un plateau à Monaco. Michel Denisot en était à l’époque le présentateur. L’émission se terminait au bord d’une piscine, Denisot venait d’interviewer les jeunes et clôturait la retransmission. Je vous laisse imaginer où il a fini et qui l’a conduit à prendre un petit bain surprise (il s’éclate de rire).

Mis à part Bernard Gardon, c’était une défense très méditerranéenne…
Oui Bernard avait été formé à Nantes et arrivait de Lille… Mais ce n’était pas un problème, il s’est vite intégré parce que c’était un super gars sur et en dehors du terrain. Il a eu plus de mal à s’habituer au contexte monégasque et surtout au manque d’infrastructures. Il arrivait de clubs qui n’en manquaient pas. Il avait connu des environnements déjà très modernes, très professionnels, notamment à Nantes. Mais à Monaco nous n’avions même pas de terrain d’entraînement à l’époque !

Avant chaque entraînement on se réunissait dans un bar voisin du Stade Louis-II. Là, M. Leduc prenait le téléphone et appelait un peu partout. Villefranche, Saint-Martin-de-Peille, Menton, Biot…

Comment faisiez-vous ?
On se débrouillait… Enfin surtout Lucien Leduc ! Avant chaque entraînement on se réunissait dans un bar voisin du Stade Louis-II. Là, M. Leduc prenait le téléphone et appelait un peu partout. Villefranche, Saint-Martin-de-Peille, Menton, Biot… Toute la région y passait ! Une fois on s’est entraîné sur un golf, une autre sur un parking… Et quand on avait un terrain à notre disposition, ce n’était pas de la pelouse mais de la bonne terre à l’ancienne ! Quand je vois aujourd’hui le projet du club pour le nouveau centre de performance de La Turbie je mesure tout le chemin parcouru par l’AS Monaco.

Quarante ans plus tard, toujours la même complicité entre les héros de 1978.

Mais entre le début de votre première période monégasque en 1970 et la fin de la deuxième en 1983, l’AS Monaco avait déjà beaucoup évolué non ?
C’est vrai. Au début des années 80, le club était redevenu un acteur majeur du championnat de France, il commençait à s’installer à La Turbie pour les entraînements et le nouveau Stade Louis-II était en cours de construction. Sans oublier que le virage de la formation entamé au milieu des années 70 commençait à donner ses premiers fruits…

Nous étions abonnés aux équipes d’Europe de l’Est à l’époque. Nous sommes allés en Roumanie, en Bulgarie, en Ukraine. Là aussi c’était un tout autre monde !

En revanche, vous aviez encore un peu de difficultés à briller sur la scène européenne…
En 1978/1979, après le titre, on a vraiment raté le coche. Au premier tour on avait éliminé le Steaua Bucarest, une très belle équipe à l’époque. On avait gagné 3-0 chez nous et perdu 2-0 là-bas, un vrai traquenard dont nous étions sorti de justesse. Puis au tour suivant, on est tombé sur Malmö. On avait fait un bon 0-0 chez eux, avec un but injustement refusé, mais au retour ils nous ont fait un véritable hold-up. On avait dominé tout le match, ils avaient passé une seule fois le centre mais ça leur avait permis de marquer le but qui nous éliminait. Sachant que derrière ils ont atteint la finale, on pouvait se mordre les doigts car ils ne nous étaient pas supérieurs. Mais c’était une saison compliquée…

AS Monaco 1978/1979 : Debout (de g à d) : Ettori, Gardon, Courbis, Zorzetto, Voitalis, Moizan – Accroupis : Petit, Dalger, Onnis, Nogues, Emon

Pour quelle(s) raison(s) ?
Nous sortions du titre, il fallait digérer ça… En plus le club avait recruté Albert Emon et Gérard Soler en attaque, ce qui avait créé quelques tensions car ils étaient beaucoup de candidats pour peu de places… Pour revenir à votre question, il faut dire que la coupe d’Europe et en général le football international c’est un tout autre monde. Il y a beaucoup plus d’intensité, de pression. Et c’est vrai qu’il a fallu du temps pour s’y acclimater. En plus nous étions abonnés aux équipes d’Europe de l’Est à l’époque. Nous sommes allés en Roumanie, en Bulgarie, en Ukraine. Là aussi c’était un tout autre monde !

Retrouvez la troisième partie de ce Grand Format ce dimanche 24 mars à partir de 9h00.

Rise. Risk. Repeat.