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Interview 12 mars 2022, 16:34

Martin Djetou : "Jean Tigana a été comme un papa pour moi"

Martin Djetou : "Jean Tigana a été comme un papa pour moi"
Avant le duel entre son club formateur, Strasbourg, et celui qui lui a permis de gagner ses premiers titres, l’AS Monaco, l’ancien défenseur et milieu défensif des Rouge et Blanc, champion de France 1997 et 2000, a accepté de revenir sur son passage en Principauté. Entretien.

Il est de cette catégorie de joueurs, qu’un entraîneur rêverait d’avoir dans son effectif. Généreux dans l’effort, dévoué pour le collectif, Martin Djetou a été l’homme de base de l’axe défensif monégasque pendant cinq ans (de 1996 à 2001).

Un retour au RC Strasbourg à la formation

Recruté sous l’ère Jean Tigana et devenu champion de France dès sa première année en 1997, avant de récidiver avec Claude Puel en l’an 2000, l’ex-international tricolore (6 sélections) a tout connu en Principauté. Aujourd’hui entraîneur des U15 du RC Strasbourg où il avait été formé, pour « boucler la boucle », l’ancien joueur de l’AS Monaco a accepté de se raconter, juste avant le choc européen entre les deux formations. Avec la sincérité qui le caractérise. Rencontre.

Bonjour Martin. Pour commencer, que devenez-vous ?

Je travaille depuis 2014 à la formation au sein du Racing Club de Strasbourg. Cette saison j’ai pris en charge les U15, après avoir eu les U16. Je n’étais pas forcément préparé à ce métier, mais François et Marc Keller m’ont demandé si je ne voulais pas partager mon savoir et donner un coup de main au niveau du centre de formation. Donc je suis venu d’abord pour faire de l’observation, et ensuite ça m’a plu. J’essaye de donner de mon temps et d’aider du mieux que je peux. C’est une manière de boucler la boucle, dans le club où tout a commencé pour moi.

Justement, rappelez-nous les conditions de votre arrivée en Principauté, en provenance de Strasbourg…

(Rires) C’était folklorique ! A l’époque on jouait un match important contre l’AS Monaco. Cette semaine-là, mon agent du moment m’appelle, alors qu’il prenait rarement de mes nouvelles, et il me dit : « L’AS Monaco est intéressé par toi, ne bouge pas, je reviens vite vers toi ». J’en parle à ma femme et à une ami et je leur dis : « A tous les coups il m’appelle pour que l’année prochaine je reste avec lui ». Il me rappelle le vendredi pour me dire que ça avance bien. Arrive le match le week-end, où on perd 5-1 je crois, et là je vois arriver le président dans le vestiaire.

Notre relation avec Jean, c’était du 50-50. Il a choisi de me prendre, et moi derrière j’ai fait en sorte de ne pas le décevoir. Jeannot c’est comme un papa pour moi ! J’ai vu certains de ses matchs, et quand je suis arrivé il m’a mis tout de suite à l’aise.
Martin DjetouSur sa relation avec Jean Tigana

Il me confirme : « L’AS Monaco te veut, et je ne te cache pas que les caisses du Racing sont dans le rouge. Aujourd’hui tu es le joueur qui peut nous rendre service. Que fais-tu ? ». Alors je lui réponds : « Écoutez président, on vient de perdre un match, je suis sous la douche… ». Je m’entendais très bien avec lui, et là il se met à pleurer, parce que c’est une belle proposition, et en même temps ce n’est pas le moment. Bref, je viens finalement avec lui, et il y avait le Président Campora, Jean Tigana, Jeannot Petit et Michel Rossi. On a discuté, je suis resté à Monaco et j’ai dormi à l’hôtel à côté du stade et au petit-déjeuner je paraphais mon contrat.

Comment vous ont-ils repéré ?

Cela faisait deux ans qu’ils me suivaient. J’étais en balance avec Florent Laville, le défenseur central de l’Olympique Lyonnais. Et un match contre Lyon a fini de les convaincre de me faire signer moi plutôt que lui. J’ai donc signé mon contrat, et ensuite je suis parti aux Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996. A mon retour, j’attaquais la saison avec l’AS Monaco et on termine champions cette année-là. C’était top !

C’est donc Jean Tigana qui vous recrute. Quelle importance a-t-il eu dans votre carrière ?

Notre relation avec Jean, c’était du 50-50. Il a choisi de me prendre, et moi derrière j’ai fait en sorte de ne pas le décevoir. Jeannot c’est comme un papa pour moi ! J’ai vu certains de ses matchs, et quand je suis arrivé il m’a mis tout de suite à l’aise. Il a expliqué que c’est moi jouerait, alors que quand j’arrive, j’ai 21 ans, et il y a un monument du club, Claude Puel, qui est en fin de carrière. Lors de mon premier entraînement, il annonce à tout le monde que ce sera désormais moi le titulaire, et il propose à Claude de rentrer dans le staff. A partir de là, il a tout fait pour que je sois dans de bonnes conditions.

A mes débuts, quand j’arrive, on fait un petit toro. Et Manu Dos Santos, le frère que je n’ai pas eu, me fait un petit pont. Tout le monde se met à rire. Mais moi je m’arrête et je dis : "Le prochain qui me fait ça, je lui pète le tibia !".
Martin DjetouUn toro un peu viril

Comment se passe votre intégration dans l’équipe justement la première saison ?

Dans un premier temps j’étais réservé, et ensuite les anciens sont venus me voir pour me dire : « Écoute Martin, vu que tu es un roc, dans un match, sur tes premières interventions, on sait si on va gagner ou pas ». Ils m’ont vraiment mis bien, alors que j’étais un peu dans le stress. D’ailleurs je crois que je me fais mal à la cuisse à mon deuxième entraînement seulement. J’ai mis un peu de temps pour me remettre sur pied, mais après je n’ai plus quitté le groupe. Je faisais partie d’un petit groupe avec Thierry Henry et David Trezeguet qui démarraient, ainsi que Sonny Anderson. Il y avait vraiment une belle bande de potes, au-delà des petites rivalités qu’il y a toujours dans un club. Les sud-américains restaient pas mal entre eux par exemple. Mais c’était vraiment un bon moment.

Quels sont les joueurs qui vous ont vraiment impressionné, par leur aura ou leurs performances ?

A tous les niveaux on avait du monde ! Dans les buts on avait Fabien Barthez, qui aimait bien gueuler, et à la fois qui était très détendu une fois l’entraînement fini. Derrière on avait Franck Dumas, qui était le capitaine et qui parlait beaucoup aux jeunes. Japhet N’Doram, qui est arrivé après, nous a amené sa sagesse, une forme d’humilité et son calme aussi. Même au niveau offensif, on avait Ali Benarbia, un très beau joueur, qui parlait beaucoup. Patrick Blondeau, l’ancien, qui se faisait entendre au milieu. Il y avait de tout et on se complétait vraiment bien.

Avez-vous quelques anecdotes qui vous reviennent en tête ?

(Sourire) Un petit truc rigolo. A mes débuts, quand j’arrive, on fait un petit toro. Et Manu Dos Santos, le frère que je n’ai pas eu, me fait un petit pont. Tout le monde se met à rire. Mais moi je m’arrête et je dis : « Le prochain qui me fait ça, je lui pète le tibia ! ». Dans ma tête je déconnais. Et puis en fait il retente le même geste juste après. A ce moment, je ne cherche pas à comprendre et je finis avec ma chaussure sur son tibia, et je lui arrache toute la peau. Là, les gens se sont arrêtés de rigoler, et ils se sont dits : « Celui-là, il blague pas ! ».

Il ne vous en a pas voulu ?

Non, mais d’ailleurs j’ai une autre anecdote avec Manu. Quand Jean Tigana devait m’annoncer ma première sélection en équipe de France, il m’appelle et commence à prendre la voix de Jeannot. Il l’imitait tellement bien ! Il me dit (avec la voix de Jean Tigana) : « Écoute Djet’, si tu ne veux pas y aller, tu me dis, il n’y a pas de problème. J’appelle Aimé Jacquet et il prendra quelqu’un d’autre ! ». Ça avait duré quelque temps, et finalement c’était vraiment Jeannot, c’était très marrant.

Je me souviens encore que je marque de la tête, et en même temps il y a penalty sur Sylvain Legwinski. Soit il y a penalty, soit il y a but normalement. Et on nous refuse les deux !
Martin DjetouLe vol contre l'Inter Milan

Pour revenir au terrain, que retenez-vous des épopées européennes de 1997 et 1998 ?

Je garde notamment en mémoire la qualification pour les demi-finales de la Ligue des Champions arrachée contre Manchester United. A l’aller, j’avais chargé leur attaquant, Teddy Sheringham, qui était un gros à l’époque. Il y avait de grands joueurs en face, Andy Cole débutait, Paul Scholes était là, David Beckham également. On fait match nul chez nous à l’aller et finalement on les sort avec une victoire 1-0 au retour à Old Trafford, sur un superbe but de David Trezeguet. Malheureusement ensuite on se fait sortir par la Juventus Turin en demie, à cause de notre match aller (défaite 4-1). On prend un but de leur numéro 10 au deuxième poteau, Alessandro Del Piero, qui nous élimine. Ça reste une frustration !

Même si l’Inter Milan l’année d’avant en Coupe UEFA, demeure la plus grosse déception, car nous nous sommes fait voler, tout simplement ! Je me souviens encore que je marque de la tête, et en même temps il y a penalty sur Sylvain Legwinski. Soit il y a penalty, soit il y a but normalement. Et on nous refuse les deux ! Finalement l’Inter de Youri Djorkaeff, Paul Ince et Iván Zamorano notamment, nous élimine. Je me rappelle avoir dit que c’était un vol, car notre but était valable. En plus Zamorano nous met deux buts de renard des surfaces, dont un où le ballon était encore en mouvement alors que c’était un coup de pied arrêté.

Ces deux déceptions effacées, comment se passe l’arrivée de Claude Puel sur le banc ?

L’année d’avant, on finit 3e ou 4e, et les joueurs entre nous, on se demande pourquoi le président a vendu des joueurs cadres, alors qu’il aurait pu garder le même groupe, qui avait beaucoup de confiance. Au final, on perdait des joueurs tous les ans, et on n’arrivait pas à retrouver notre réussite. Cette année où on est de nouveau champions en 1999-2000, c’est justement parce que c’était la même équipe. On se connaissait, et puis c’était le titre du millénaire, c’était spécial ! On fait vraiment une grosse saison. Claude avait remplacé Jean Tigana et avait l’œil aiguisé. Il trouvait les bonnes solutions pour que l’on soit performant. L’année suivante on essaye de faire bien, mais on perd en finale de Coupe de la Ligue contre Lyon.

En 2000 vous avez connu un joueur très spécial, Marcelo Gallardo. Quel joueur était-il sur le terrain ?

Sur la pelouse c’était un pitbull ! Il était petit par la taille, mais grand par le talent. Il avait aussi de l’orgueil, et un gros tempérament. Il avait du vis, le sud-américain quoi ! Mais une qualité de passe exceptionnelle, la vista, la vision du jeu… il avait tout ! Autour, on avait encore Rafael Màrquez, que j’appelais Pete Sampras (sourire) ! Il avait lui aussi une sacré vista, un bon coup d’œil et une sacré patte sur les coups francs. En y repensant, on avait beaucoup de joueurs de haut niveau.

Et Marcelo nous a fait beaucoup de bien. Même s’il garde un mauvais souvenir de ce traquenard au stade Vélodrome, où il se fait attraper dans les couloirs. Il était entouré des petits jeunes qui ne bronchaient pas, et nous étions derrière avec Dado Pršo, mais c’était trop tard. J’avais chopé Poncho Abardonado qui m’avait dit : « Djet’, je te jure que je n’ai rien fait ». Et en fait il venait de se faire rosser. Mais en dehors de cet épisode malheureux, Marcelo c’était un génie !

Que retenez-vous de votre passage à l’AS Monaco ?

C’est un club qui m’a marqué ! J’ai eu la chance de gagner quelque chose dans chaque club où je suis passé dans ma carrière. Mais là où c’était le plus abouti, c’était à l’AS Monaco ! J’ai connu le haut niveau et des titres, tout ce dont rêve chaque joueur. J’en garde un très bon souvenir, même si je ne reviens pas très souvent. C’est vraiment le club où je me suis épanoui et où j’ai vraiment découvert ce que voulait dire le haut niveau.

Avez-vous gardé des liens avec vos anciens coéquipiers ?

Bien évidemment avec Manu Dos Santos ! Je suis le parrain de son fils, et lui de ma fille. Il travaille d’ailleurs encore là-bas, à la tête des U17. Ensuite, j’ai souvent Dado Pršo au téléphone, ainsi que Bruno Irles (actuel entraîneur de Troyes, ndlr). Ce sont les anciens avec qui je communique souvent. Ensuite, parfois dans notre métier, si tu as un bon poste on t’appelle, mais si tu n’es pas sur le devant de la scène, personne ne te calcule. En tout cas nous sommes un petit groupe à tenter de rester en contact.

Rise. Risk. Repeat.